Même en mission spatiale, Mister est déguisé. Quelle allure ! Quelle prestance ! On pourrait écrire un roman sur ses habitudes vestimentaires et autres clowneries qui m’en font voir de toutes les couleurs. Parmi les anecdotes, impossible d’oublier celle de notre séjour dans cette ferme bancale de l’Utahsun. Huit jours chez l’habitant; un régal de verdeur, ce vieux Clyde Tombaugh. Collectionneur de voitures du troisième millénaire, il en avait restauré des tonnes. « Avec diligence et précision. » Malgré ses cent cinquante et un ans, il trottinait des heures entre les chromes de son musée. Ses mains ébène, éléphantesques, faisaient des miracles. Surtout avec la peau de chamois; ça le rendait heureux de lustrer. Sur les carrosseries planes et lisses, miroirs colorés, on voyait le reflet de ses rides frontales, des lignes régulières, vivantes.
— Creusées comme les sillons de ses pneus.
— Qu’est-ce que tu baragouines encore, l’automate ?
— Rien. Juste une phrase qui m’a échappé.
— Bla-bla-bla, concentre-toi et sois vigilant !
— Oui, boss.
Les rides de Clyde Tombaugh étaient si expressives qu’elles semblaient strier l’air. Empreintes de passion, avides de sagesse, elles disséminaient autour de lui des sillages de savoir et d’obligeance.
Un soir d’août, il vint tapoter à notre carreau et nous invita avec insistance à partager son mets frugal. Sa cabane conviviale avait l’odeur du siècle précédent; un réchaud laser, une marmite qui embaumait la soupe de céleri; un vieux juke-box à rayons gamme a; et une clonoïde d’Ava Still, rafistolée, pouvant encore s’occuper du ménage. Clyde avait émaillé ses murs de phothologrammes de Suggar Lake City, sa ville natale. Les néons roses encastrés dans le parquet nous plongeaient dans les années cosmoktranse. Le milieu de son antre appâtait l’œil : une table ronde, entourée de sièges escamotables qui surgissaient du sol au gré d’un murmure. Cette table était traversée par un aquarium cylindrique qu’il avait converti en cosmosarium.